A la veille du Jour 2 de l’EPT Chypre, qu’il abordera dans le haut du classement avec un confortable tapis de 233 000 jetons, Simon Wiciak, vainqueur de l’EPT Barcelone début septembre et 12ème français à soulever le trophée de vainqueur EPT, a accepté de répondre à quelques questions pendant son jour off.
Alors Simon, comment ça se passe pour toi depuis ta victoire sur l’EPT Barcelone ?
J’ai repris le grind online, en jouant les Series sur plusieurs sites. Cela s’est bien passé, j’ai fini up, donc j’étais plutôt content, c’est pas toujours le cas sur des Series. L’idée, c’était surtout de garder le rythme online, pour ne pas régresser. C’est la clef pour garder le niveau de s’imposer de continuer à jouer, même moins cher, sur ses tournois habituels.
Il y a eu un grand moment de décompression après ma victoire sur l’EPT Barcelone, on a pu célébrer à plusieurs reprises avec tout le monde. Je me suis beaucoup occupé de l’aspect financier, en cherchant comment je pouvais optimiser au mieux mes gains.
J’ai préparé également les échéances à venir et notamment cet EPT Chypre.
Comment tu te sens maintenant quand tu te retrouves à nouveau sur un EPT ?
Beaucoup plus confiant, avant je tremblais un peu au début. Les premières minutes de jeu, c’est 5 300 €, tu penses au buy-in et ça t’affecte forcément. Je me sens beaucoup plus installé dans mon jeu et beaucoup plus décontracté, j’observe de mieux en mieux mes adversaires.
Aussi, je ressens un peu de « fear equity » à la table. Je sens que quelques joueurs me jouent moins, me montrent leurs cartes en rigolant en disant « Je bluffe pas le champion », ils me montrent des choses qu’ils ne devraient pas et cela me donne forcément beaucoup d’informations. Donc, j’ai un peu plus d’edge grâce à cela.
Je vois surtout le côté positif, il y a eu un bel engouement autour de ma victoire, j’ai reçu beaucoup de félicitations et acquis une sorte de respect, c’est très agréable à vivre. Je trouve que dans tous les sens, c’est vraiment bénéfique d’avoir gagné ce titre.
Est-ce qu’on te reconnaît à la table, maintenant ?
Parfois, personne ne dit rien et puis subitement, y a un joueur qui me reconnaît. Y en a un autre qui confirme « mais c’est le champion EPT ! ». Certains le disent pas, mais je le vois au regard des gens.
Parfois, il y a des mecs qui me regardent mal, avec insistance, je pense qu’ils m’en veulent et en fait, ils finissent par me demander de prendre une photo avec moi. C’est agréable. Je n’ai eu que de la bienveillance et des mots gentils depuis Barcelone.

Simon Wiciak lors de sa victoire sur l’EPT Barcelone
Ca t’a fait quelque chose de passer devant ta photo de vainqueur qui passe sur les écrans ?
On a été prendre une photo devant avec ma copine. Comme on disait avec elle, quand je suis pas sur un tournoi et que je suis en France, je suis dans une vie normale. Quand je suis dans le monde du poker, c’est un peu comme si j’étais devenu quelqu’un d’autre, quelqu’un de plus connu. C’est comme s’il y avait deux mondes, un dans lequel tu es un peu célèbre, et l’autre non. Ici, tu marches, tu te fais reconnaître. Ca te fait discuter avec plein de personnes. Hier, par exemple, on s’est retrouvé avec le commentateur anglais James Hartigan. On rencontre une sphère de gens qu’on ne rencontre pas habituellement, c’est agréable. J’ai conscience que c’est très positif, que ça peut permettre d’ouvrir quelques opportunités et je compte bien continuer à surfer là-dessus.
Qu’est-ce que cette victoire a changé pour toi ?
Financièrement, ça a changé ma vie. On ne se privait pas avec ma copine, on vivait déjà bien et on avait pas mal de projets. Mais là, ce ne sont plus des projets, ce ne sont plus des mots, cela se transforme en actes. C’est clairement un tournant dans notre vie.
Dans notre vie, rien n’a changé. En terme d’ambition, c’est une validation, c’est un peu prétentieux de dire ça, mais c’est comme si cela devait arriver. J’ai eu la chance que ça arrive tôt. Mais un score de 100k, 200k, je sentais que ça allait arriver. D’avoir pris tout de suite ça, c’est énorme, mais ça montre que quand on est ambitieux et qu’on fait bien les choses, il y a toujours quelque chose qui se passe.
Tu comprends pourquoi il y a eu ces moments difficiles. Ce que ça change, c’est que ça valide et que les projets peuvent avancer grâce à ça.
Niveau poker, je compte rester sur ces buy-ins, je ne vais pas forcément faire tout de suite des 10k ou des 25k, on verra d’abord si je confirme, si je trouve du staking, je pourrais peut-être envisager de jouer ces tournois-là. Le but, ce n’est pas de les jouer pour les jouer, c’est d’être compétitif et je sais que ça requiert beaucoup de travail. Quand on voit les inscrits du $50 000 Super High-Roller, moi, j’ai envie d’être au niveau pour affronter ces joueurs-là dans un tournoi pareil. Globalement, je sais qu’il y aura des possibilités, mais je n’ai pas l’ego de dire « Oh, je vais faire les Triton ». C’est pas du tout un objectif à court terme, déjà j’ai envie d’essayer de m’installer sur ces buy-ins, de confirmer.
Est-ce que tu arrives à te re-motiver quand tu arrives sur un nouvel EPT ?
Déjà online, quand j’étais en table finale d’un 50 €, si je faisais un bluff, j’avais le cœur qui battait, je n’étais pas dans le mood « si ça passe pas, tant pis ! ». J’ai toujours la culture de la gagne, et je veux continuer à performer. Si tu perds pendant un certain temps, même si c’est la variance, tout le monde va dire que « t’as chatté ». Tu as forcément envie de confirmer. Moi, ça me booste, j’aime la compétition et j’ai envie de continuer à bien faire, ne pas prendre à la légère les tournois d’après. Je continue à être staké, à essayer de faire les choses bien parce que je sais que c’est ce qui est profitable à long terme. Je ne ressens pas du tout encore le fait d’être balla. Peut-être qu’il y a un seuil à un moment où tu te dis que ça t’intéresse moins. On voit des têtes connues depuis longtemps. Regarde un Antoine Saout, il est encore là, il a déjà gagné tellement et il a encore envie de venir jouer.
C’est quand même un jeu où le fait de own l’adversaire, de comprendre l’autre et de mieux jouer est satisfaisant. Il y a encore beaucoup d’argent à gagner. J’ai gagné 1 million, mais entre ce qui part pour l’Etat, le staking, ce qui part dans les investissements, ça va vite. Et surtout, j’ai toujours la gagne.

C’est quoi tes objectifs maintenant ?
J’aimerais commencer à faire partie des meilleurs joueurs. Quand il y a une line-up, j’aimerais me sentir parmi les meilleurs. J’aimerais faire partie de ce top 50 où tu sais que quand tu es sur une table, tu sais que ça va être très dur de jouer contre ces gens-là. Tu vois Sam Greenwood, Joao Vieira, Adrian Mateos, Bazdiakouski, Kulev, Juan Pardo, tu les vois, tu sais que ça va être dur, tu ne peux pas attendre des spots. Ca c’est quelque chose qui est satisfaisant, parce que ça veut dire que dans la philosophie du poker, comprendre le poker à ce point-là, c’est ça qui est intéressant. Maintenant, si ça peut se faire sur des 10k ou des 25k plus tard, j’en serais très content, ce serait une satisfaction, et j’aimerais le faire au moins une fois dans ma vie. Mais à court terme, c’est pas un objectif, et d’ici 2 ou 3 ans, ce serait pas grave si je continuais à faire le circuit, que j’ai des up and downs, que je m’installe confortablement là-dedans, et que au moins je fasse partie des meilleurs sur ces fields-là, pour avoir voir autre chose. Et je sais que ça passe par énormément de travail sur internet, avec des groupes, faut pas lâcher. A l’heure où je parle et je joue un EPT, j’en connais qui sont déjà dans des bootcamps et qui travaillent encore. Le niveau continuera de monter donc si je veux faire partie de ça, il faudra faire des efforts considérables. Globalement, pas d’ambition à court terme dans ces gros high-stakes, mais de s’y poser doucement, ce serait intéressant plus tard.
Est-ce que tu as célébré cette victoire ?
On a bien fêté la victoire à Barcelone, avec des bons magnums qui coûtaient cher. On a fait des bons restos, on a invité tout le monde, la famille, les amis. On a aussi offert une voiture à un membre de la famille. Mis à part ça, on n’a pas fait d’excès.
Mes premiers excès, ce sera sans doute mes investissements dans l’immobilier. Je me suis acheté une montre, mais pas très chère. J’ai fêté ça bien comme il faut avec la famille et les amis. Et c’était vraiment des moments incroyables, de voir tout le monde me parler avec de ma victoire.
Par rapport à ton entourage, est-ce que cette victoire a changé quelque chose ?
On peut dire que ça a validé le côté « joueur de poker », une confirmation que j’étais sur la bonne voie. Que ce n’était pas flou. Même si je vivais déjà bien, cela pouvait rester flou. Combien est-ce qu’il a vraiment ? Quel est son train de vie ? Est-ce qu’il a des projets ? Est-ce qu’il met de côté ? Là, ça a posé un chiffre, une somme qui les tranquilise. Ils ont compris l’envergure de la chose, et comprennent mieux mon travail. Ca a mis un coup de tampon. Maintenant, les conversations sont plus respectueuses envers ma situation, on sait ce que tu vas faire quand tu leur dis que tu pars deux semaines à Chypre. Au tout début, mes parents me disaient « d’accord, tu joues au poker, mais quand est-ce que tu reprends ton travail d’ingénieur ? » Cette victoire, ça valide le fait que ce que je fais, je le fais sérieusement et que ce n’est pas qu’un hobby.
Est-ce qu’ils vont te suivre de près maintenant sur tes tournois ?
Je reçois plus de messages. Des fois, ils comprennent pas bien, et je n’explique pas tout en détail. Ils suivent, ils me disent « Continue, fais le back to back ! ». Je ne reçois que des messages positifs.
Est-ce que tu as analysé ta victoire et revu le stream de la table finale ?
Honnêtement, je l’ai revu dans toutes les langues, brésilien, anglais, allemand… J’écoutais ce qu’ils disaient, et lisais la traduction pour savoir ce qu’ils disaient sur moi. Mais c’était surtout pour le kif, pas pour analyser.
Pour le travail, j’ai juste observé un peu mon attitude. On m’avait fait la remarque que quand j’étais en value, je misais et je me cachais, et que quand j’avais une main moyenne, je me cachais et je misais, comme si j’avais quelque chose à cacher. Comme quoi, il y a des petites choses à améliorer. J’ai un peu regardé les reviews de Kill Tilt et discuté avec Benjamin Chalot et la Team ATM sur les mains intéressantes que j’avais jouées, mais j’étais assez sûr de mes décisions sur la table finale.
C’est vraiment pour le kif principalement, que j’ai regardé le stream et c’était très émouvant. On a regardé ça comme un film. On s’est installés dans le canap’ et on a éteint la lumière. C’est un film où tu sais qu’il y a une fin heureuse, donc c’est les films que tu aimes bien regarder. C’était vraiment pour le kif.
Où est-ce que t’as mis le trophée ?
Quand je joue, j’ai des écrans en face de moi, et la coupe est à côté sur une petite commode. Donc, elle est là, quand je tourne la tête, elle est juste à côté et elle me sourit. On avait peur qu’elle soit trop lourde, mais ça va, j’ai un bon bureau. Elle est dans l’endroit où je joue au poker, comme ça, j’oublie jamais que j’ai gagné.
Est-ce que c’était un rêve de gagner un EPT ?
Je regardais beaucoup les retransmissions même quand j’étais étudiant. Je me disais que c’était un truc de fou ces tounrois. Et je comprenais pas que les gens mettent autant d’argent dans le poker. Je me disais « mais c’est pas possible qu’autant de monde mette 5 000 € ». Je n’imaginais même pas qu’il puisse y avoir d’autres tournois à côté, puisqu’on ne montrait que le Main Event à la télé. J’avais du mal à comprendre, je me demandais si c’était tous des businessmen qui jouaient.
Maintenant que je fais le circuit, je suis très reconnaissant de pouvoir faire ça. Alors, gagner un EPT, je pensais vraiment pas ça possible. Quand j’ai commencé à deep run Barcelone, j’ai commencé à y penser, à me dire que c’était possible de faire quelque chose. J’avais dit aux journalistes que le trophée n’était pas important pour moi, que l’objectif était d’abord financier, qu’atteindre des sommes comme ça étaient incroyables.
A la fin, quand tu fais le deal, là, tu penses au trophée. Forcément, à ce moment-là, tu commences à vouloir gagner. Mais avant, tu penses à passer tes paliers, à bien jouer ton jeu. Vraiment, avant, je ne pensais pas au trophée.
Et maintenant, me dire que je suis en train de m’installer sur les EPT, c’est incroyable.
Comment ça s’est passé pour toi sur ton Day 1 ici à Chypre ?
Extrêmement bien. J’ai eu de la réussite, les coups à tapis ont tenu. J’ai beaucoup aimé l’expérience parce que c’était varié en terme de personnes à la table. Des joueurs très moyens, des joueurs très fantasques, des joueurs que je considérais comme bons mais qui ont été éliminés assez tôt, qui ont fait place à des joueurs moins bons mais très agressifs, et donc c’était forcément un peu high variance.
Je suis resté concentré, j’essayais de prendre la température, parce qu’il ne faut pas se tromper dans ces dynamiques-là où on peut catégoriser facilement un joueur comme fou et se tromper. Je suis resté calme et patient, j’ai bien manœuvré avec de la réussite bien évidemment, parce que pour monter ce que j’ai monté, il en faut beaucoup. 8 startings, faut de la réussite. Globalement, je suis très content et je ne pense pas avoir de pression pour le Jour 2. A Barcelone, on me demandait tout le temps « Maintenant que vous êtes chipleader, vous avez une stratégie nouvelle ? » Non, en fait, c’est avec ce que j’ai là et la configuration que j’aurais que je ferais du mieux que je peux. Je pense que plus on a de jetons, plus on peut faire des trucs intéressants au poker.
Avoir monté un stack pareil, c’est de bonne augure pour la suite du tournoi, à moi d’être bien en place, de ne pas trop distribuer de jetons à droite à gauche, de jauger la bonne pression à mettre aux autres joueurs. Je suis vraiment content de ma journée.
Comment as-tu monté tes jetons ?
J’ai un eu gros coup qui m’a fait décoller à 45k quand j’ai touché un full sur la turn avec ma paire de Dix, j’ai envoyé trois barrels, il a folder mais j’ai pris un gros coup.
Je monte ensuite à 70k avec plein de petits coups, puis j’ai une main énorme contre un anglais un peu fou furieux où je fais deux Valets contre deux Dix, et ça me fait passer à 150k. C’était contre un joueur qui parlait beaucoup. C’est la première fois que je vois quelqu’un à la table qui parle beaucoup mais qui arrive à obtenir les choses qu’il veut. Souvent, quand on parle, c’est qu’on est très à l’aise, qu’on a une main forte et qu’on veut se faire payer. Il arrivait à parler à quelqu’un complètement en bluff. Il avait rien du tout, et après il montrait bien les cartes, il était très à l’aise. Donc, fallait pas se tromper en analysant sa manière de parler dans un coup, il était très fort. C’est la première fois que je voyais ça.
Après, j’ai défendu 6-3, c’est venu Valet-6-3 en 3-way, il y a un mec qui a fait tapis directement en overbet, j’ai payé, j’ai gagné, je suis monté à 180k. Et à la fin, j’ai défendu 9-7 suité dans un pot 3-bet, c’est venu J-9-7 avec un flush-draw, il a misé très cher, j’ai fait tapis, il a tank-fold. C’était la dernière main de la journée, c’est toujours comme ça que ça se passe, les mecs veulent faire des moves contre le chipleader. Le coup charnière, c’est JJ/TT, j’étais bien content qu’il ait cette main-là à ce moment-là.
Merci Simon pour cette interview et bonne chance pour le Jour 2
