Thursday, 28th March 2024 10:14
Home / Foot sans Fans : Comment le confinement a affecté notre jeu favori

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Des supporters de foot autour d’un terrain ? Une image que l’on n’a pas vu depuis une éternité, notamment en Premier League. (Flickr/Creative Commons)

Dans le championnat allemand, la Bundesliga, les joueurs ne choisissent que très rarement le n°12. C’est le numéro de la foule, celui qui est réservé au 12e homme, celui qui est muni d’un amour sans égal, d’une énergie toujours renouvelée. Victoire ou défaite, les ultras poussent tous les week-ends derrière leur équipe favorite. Tous ceux qui ont participé à un match de football à ce niveau-là vous confirmeront l’influence de spectateurs vibrant et vociférant à pleins poumons… la tradition allemande de ne pas assigner ce numéro rend juste les choses plus officielles au niveau de l’importance des fans.

Avec l’apparition et le développement de la pandémie COVID-19 aux quatre coins du globe, le 12e homme a été forcé de rester à la maison. Les matches ont pu reprendre dans la quasi-totalité des championnats professionnels, mais les sièges autour du terrain restent désespérément vides. Ces arènes flambant neuves et autrefois remplies à ras bord de fans hurlants sont devenues des coquilles vides. Privés de l’atmosphère de nos matches favoris, nous nous retrouvons avec un football qui n’a rien à voir avec celui que nous avons connu.

Que s’est-il passé dans le football sans les fans ? Les stades vides ont-ils changé le jeu ? Et, pour les fans, que veut dire le football dans cette période de confinement ?

GOALS ! GOALS ! GOALS !

Comme la plupart des compétitions, la Premier League anglaise a été stoppée de manière abrupte peu avant la fin de saison 2019-2020. Il ne restait que 92 matches à jouer.

Les parties ont repris à la mi-juin et la saison a finalement été conclue très rapidement… mais l’effet domino a joué à plein sur la saison 2020-2021. Au lieu de démarrer en août comme d’habitude, le championnat n’a repris que le 12 septembre.

Mais, une fois que le coup d’envoi a été donné, bonjour le feu d’artifice !

Selon les spécialistes de la BBC, les 38 premières parties de la saison 2020-2021 ont enregistré un total de 144 buts. C’est 40 de plus que la saison précédente sur le même nombre de matches. Avec une moyenne de 3,79 buts par match, le championnat d’Angleterre a enregistré la plus grosse avalanche de buts depuis 1930 !

Les matches observés ont aussi été marquants par les résultats. Qui aurait pu prévoir le crash du champion Liverpool contre Aston Villa (7-2) ? Villa avait évité de peu la relégation la saison précédente !

Dans le même temps, les Londoniens de Tottenham éclataient Manchester United chez eux sur le score de 6-1. Old Trafford n’avait jamais aussi mal porté son surnom de « Théâtre des Rêves », United a vécu le cauchemar d’une vie contre les Spurs !

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Moins de fans = Plus de buts

La BBC a interrogé le défenseur d’Everton Michael Keane afin d’expliquer cette augmentation du nombre de buts. Il a suggéré que l’absence des fans pourrait être un facteur : « Cela donne un peu plus de liberté aux attaquants, ils peuvent tenter des gestes qu’ils n’essaieraient peut être pas s’ils ressentaient la pression des supporters ».

D’autres membres de l’industrie du foot pointent aussi l’effet adrénaline du public. Les joueurs sont plus concentrés, ce qui aide les défenseurs à garder l’intensité suffisante pour être moins surpris par des attaquants toujours plus véloces et malins. Sans public, la moindre absence ne pardonne pas face à des joueurs de classe mondiale.

« Les fans te tiennent en alerte, ils augmentent l’intensité de tes réactions musculaires », juge Carlos Carvalhal, ancien manager de Sheffield Wednesday et Swansea City aujourd’hui en charge de Braga au Portugal. « Dans la tête des joueurs, cela fait toute la différence, je vais dire même jusqu’à 20 % », ajoute-t-il.

Le psychologue du sport Michael Caulfield est complétement d’accord. « Le football est un jeu où la menace et la peur jouent parfois un grand rôle… avec la disparition des fans dans les stades cela a moins d’importance », a expliqué Caulfield à la BBC.

Un stade vide aurait donc un impact plus important sur l’équipe recevante puisque les statistiques montrent que l’équipe à domicile est favorite pour la victoire. Selon le site The World Game, l’absence du public ne fait pas forcément une grosse différence.

TWG a analysé les matches de Premier League entre juin et octobre 2020, tous des matches à huis clos et a fait la comparaison avec les matches normaux de l’histoire de la Premier League.

Les deux échantillons ne sont pas les mêmes (130 matchs sans public contre 10 794 avant le lockdown, ndlr) mais le taux de victoires des équipes à domicile reste sensiblement identique. Dans le football confiné, les équipes qui recevaient ont gagné 46,2% de leurs matches… contre 45,4% avant cela.

Ce n’est pas tout. Selon TWG, le changement statistique le plus important est le taux de succès des équipes évoluant à l’extérieur. A l’époque du football avec des fans, les équipes qui se déplaçaient ne remportaient que 27,6% de leurs matches. Avec les stades vides, ce taux grimpe à 36,9%.

(Les équipes partagent donc moins les points, le match nul est moins en vogue depuis le début du foot confiné. Avant il y avait 26,1% de matches où personne ne gagnait, cela ne représente plus que 17,7% des résultats depuis la reprise)

Santé Mentale

La popularité du football s’explique par sa capacité à rassembler les communautés et à mélanger des gens venus d’horizons très différents. Cela même si les prix des tickets ont explosé et que les équipes sont devenues des marques globales.

L’attachement des gens à leur club reste fort. En Angleterre, s’il y a un stade à côté de chez vous c’est très probablement celui de votre équipe favorite. Dans le football, les équipes ne changent pas de ville comme dans le sport américain, chaque club s’inscrit dans l’histoire de la communauté et de la société. Suivre un club de football est un mariage pour la vie.

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Chaises vides partout dans la communauté sportive autour de la planète

En conséquence, pour beaucoup, le football est au coeur du calendrier social. Le programme d’une équipe structure le calendrier des fans les plus passionnés. Les ultras suivent leur équipe favorite avec une ardeur qui rend leurs épouses jalouses, ils bloquent leur emploi du temps pour n’importe quel match. Enlevez cet ingrédient et il n’est pas anormal que l’impact soit forte sur le bien-être des supporters.

Ajoutez l’arrêt des championnats amateurs et les passionnés ne peuvent ni jouer, ni encourager leurs champions… de quoi péter un câble mentalement. « Le football est un excellent moyen de fuir la réalité », assure Kevin George, un ancien pro devenu auteur et expert de la santé mentale dans le footbal. « Si vous les privez de cela, de cette montée d’adrénaline… ils doivent alors penser à ce qui est au fond de leur esprit. Beaucoup de gens ne vont pas en être capable », a-t-il expliqué sur Sky Sports.

George parlait des footballeurs mais le constat ne s’applique-t-il pas aux fans ?

« A mon sens le sentiment d’appartenir à une communauté et de former des amitiés sont très importants dans le fait de suivre un club », a déclaré Jack Lawrence, un abonné à l’année de Southend United, lors d’un reportage de la BBC. « Quand samedi arrive, tu oublies le reste de ta vie et tu ne penses plus qu’à pousser l’équipe durant 90 minutes. Cela fait partie de l’équilibre de vie des gens, c’est donc important que les stades ouvrent à nouveau le plus rapidement possible », a-t-il ajouté.

Responsable des partenariats pour le podcast Anfield Wrap, John Gibbons s’est confié à Football Critic à ce sujet: « Ce n’est peut-être que du football mais votre investissement est si fort qu’un vide se met en place automatiquement, cela quelle que soit votre équipe préférée. […] C’est une partie de l’identité des gens qui leur a été enlevée, au mieux cela va créer un manque ».

« Pour beaucoup de gens, et pour moi-même, aller au stade permettait d’oublier des temps difficiles. Mon équipe et les gens avec qui je partageais cette passion étaient là quand j’en avais le plus besoin… maintenant il n’y a plus cette connexion et c’est compliqué. Il va falloir trouver quelque chose pour remplacer cela mais avec la distanciation physique et la prime à l’isolement, cela va être dur », a-t-il conclu.

De nombreux indices laissent penser que l’exil des supporters pourrait vite se terminer. Quelques championnats ont décidé de rouvrir quelques stades avec des capacités réduites et un vaccin anti-COVID semble sur les rails. Si le foot vous manque, ne désespérez pas. Souvenez-vous aussi de chercher du soutien si votre équilibre mental se dégrade, n’hésitez pas à contacter les services d’aide, de nombreuses cellules d’aide et de soutien psychologique ont été mises en place ces dernières semaines.

Trouver un service d’aide

Le foot a besoin des fans pour sortir de la crise

Vous avez probablement déjà lu la citation suivante lors des derniers mois : « Sans fans, le football n’est rien ». Alors que vous êtes dans le canapé de votre salon en train de regarder un match avec des foules enregistrées, on dirait bien que ce slogan n’a jamais résonné aussi fort.

Pourtant, cette citation n’est qu’une forme modifiée de la déclaration d’un des géants du jeu britannique, l’ancien manager de l’Ecosse et du Celtic de Glasgow, Jock Stein. La version longue paraît pourtant encore plus appropriée puisque Stein a déclaré : « Sans les fans qui paient leur place, le football n’est rien ».

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Chaque dépense d’un fan permet de maintenir l’économie du jeu à flot

Au plus haut niveau, le football est un aimant monétaire. Les chaînes de télévision payent des milliards pour avoir le droit de diffuser les matchs, les sponsors et autres communicants lâchent des millions pour imprimer le nom de leur marque sur les maillots ou les panneaux au bord du terrain. Sans parler des goodies et autre merchandising.

Mais l’argent amené par les spectateurs n’est pas négligeable, on parle de millions et c’est une large part des revenus des clubs professionnels. Cela prend encore plus d’importance à des niveaux moindres, ceux où les droits TV sont moins imposants.

« Le football est différent sans fans dans les tribunes, et son économie n’est pas viable sans eux », a indiqué la Premier League dans un communiqué en septembre dernier. « La saison dernière les clubs de Premier League ont souffert une perte de 780 millions d’euros et, au rythme actuel, l’économie de notre jeu national perd plus de 110 millions par mois. Cela commence à avoir un impact dévastateur sur les clubs et leur communauté », continue ce communiqué.

Les plus grands clubs souffrent mais plus on descend dans la pyramide du football et plus l’absence de fans est dramatique. « Le football anglais se rapproche des abysses », a expliqué Mark Ogden. « A Noël, il y aura des dégâts parmi les plus anciens et les mieux structurés des clubs anglais… ils auront été victimes de l’impact dévastateur de la pandémie coronavirus », a ajouté ce spécialiste pour ESPN.

Ogden a analysé en détails comment l’argent ne ruisselle pas véritablement des clubs de Premier League vers le bas. Ces petits clubs ont des budgets serrés et sont largement dépendants des tickets vendus pour leurs matchs à domicile. Ces clubs font donc face à des décisions très difficiles… cela incluant les tests COVID-19 sur les joueurs. Le prix des tests n’est pas donné et ils s’amoncèlent… et provoquent aussi le report des matchs. Leyton Orient a dû ainsi déclarer forfait lors de son match de Carabao Cup contre Tottenham à cause du nombre de joueurs positifs dans son effectif… et tirer un trait sur les droits de retransmission du match de près de 85 000 € !

« Dans ce monde du foot anglais où les ressources manquent, chaque Euro sauvé est un Euro gagné », explique Ogden avant de citer le manager d’Accrington Stanley, Dave Burgess. Ce dernier explique que les clubs ne peuvent plus se permettre de tester leurs joueurs tous les deux jours. « Il faut être sûr que la santé de personne n’est mise en danger mais nous n’avons pas les ressources pour dépenser 5 000 € en tests toutes les semaines », indique ce dernier. « Les membres du staff, et moi-même, nous sommes passés via le système de santé publique car nous ne pouvions nous permettre d’en faire à 140 € l’unité… On nous réclamait 340 € pour que les tests soient analysés par le labo dans la journée alors je l’ai fait moi-même, j’ai conduit plus de 160 kilomètres pour les amener directement là-bas et faire des économies », poursuit le manager !

Bien que ce problème épargne la Premier League, la résistance du sommet de la pyramide provient aussi de la force de sa base. Les petits clubs trouvent et forment les jeunes talents, les équipes montent et descendent ensuite dans la hiérarchie… mais pour cela il faut des adversaires et des matchs à jouer. Cette crise met en danger la survie de nombreux clubs…

« Nous sommes vraiment à un moment décisif », a révélé le CEO de Portsmouth à ESPN. « Je n’essaye pas de créer une panique, je ne suis pas hystérique mais je pense qu’un énorme effet domino pourrait avoir lieu dès qu’un ou deux clubs vont tomber en faillite », a ajouté Mark Catlin. « Ceux qui restent ne vont pas pouvoir construire un calendrier et très vite va se poser la question de pourquoi continuer », termine-t-il.

Cette question ne devrait plus se poser au retour des fans dans les travées des stades… y aura-t-il encore du foot à voir à ce moment-là ?

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