Depuis le succès de la série Netflix The Queen Gambit (Le jeu de la dame en français), les échecs sont clairement revenus sur le devant de la scène, les échiquiers ne se sont jamais autant vendus, les streams de parties d’échecs fleurissent.
Les joueurs de poker s’y intéressent pendant leur temps libre, certains découvrent les règles, d’autres se souviennent qu’ils jouaient pendant leur enfance à un bon niveau, comme Dan Smith, Liv Boeree ou James Obst et replongent avec délice dans leurs souvenirs d’enfance pour faire quelques parties ou relever quelques juteux paris.
Mais surtout, depuis de longues années, les passerelles entre les jeux traditionnels ou modernes et le poker se construisent. On a vu de nombreux joueurs de backgammon se mettre à notre jeu préféré, avec succès pour beaucoup, comme Sander Lyloff, l’un des meilleurs mondiaux au backgammon, qui avait remporté l’EPT Barcelone en 2007 avant de retourner vers son domaine de prédilection. On peut citer également Arnaud Mattern ou Gus Hansen, deux redoutables joueurs de backgammon qui rasaient en marge des festivals poker en proposant des videaux pour quelques gros billets.
Les joueurs d’échecs ont rapidement été attirés par le milieu du poker. On a notamment pu voir Almira Skripchenko, grand maître d’échec et l’une des meilleures féminines à l’époque, rejoindre la Team Winamax au milieu des années 2000 pour disputer les plus beaux tournois de la planète. D’autres brillants joueurs de poker comme Jeff Sarwer ont également fait une belle percée en No Limit Hold’em, avec près d’un million de dollars de gains sur le circuit et une 3ème place sur l’EPT Villamoura en 2009.

Alexandra Botez
Récemment, Jennifer Shahade et Alexandra Botez ont également mis un pied dans le poker, et continuent en parallèle leur carrière aux échecs, Alexandra Botez étant d’ailleurs très active sur Twitch où elle commente de nombreux tournois sur sa chaîne. On a notamment pu la voir sur le PSPC aux Bahamas où elle s’était retrouvée en table télévisée pour commencer son tournoi.
ENTRETIEN AVEC MAGNUS CARLSEN
Alors, forcément, quand cette année à Monte-Carlo, Magnus Carlsen, le « Mozart des échecs », numéro 1 mondial depuis 2013 et champion du monde tous les ans depuis jusqu’à cette année 2023 (où il n’a pas souhaité participer), au Jour 2 de l’EPT Main Event, en passe de rentrer dans les places payées de l’épreuve, tous les bloggueurs de la planète poker font chauffer le bloc-notes pour aller recueillir ses impressions et le questionner sur son rapport au poker.
Voici la conversation que mes collègue Jack Stanton (du Blog PokerStars anglais) et Connor Richards (de Pokernews.com), ont eue avec Magnus Carlsen, en marge du Jour 2 :
Jack Stanton : « Bonne chance au Jour 2, Magnus. Je voulais juste commencer par vous demander qui sont vos héros sportifs, tous sports confondus, et pourquoi ? Et quel type de choses essayez-vous d’imiter chez eux dans votre propre carrière ?
Magnus Carlsen : C’est une très bonne question. En général, j’ai plus d’admiration pour ce que les gens font plutôt que pour les personnes elles-mêmes. Mais je pense que Nadal a un style qui m’a un peu inspiré en étant extrêmement tenace. Alors peut-être que je ne sais pas.
J.S : J’avais une question complémentaire au cas où vous auriez parlé de Michael Jordan, parce que Michael Jordan a quitté le basket-ball pour jouer au base-ball avant de revenir et de dominer à nouveau. Et je me demandais si le poker était votre baseball.
M.C : Pas du tout. Je n’ai aucune ambition dans le poker. J’aime jouer. C’est un défi intellectuel intéressant, mais je n’ai pas d’ambition.
Connor Richards : Magnus, vous avez déjà beaucoup d’expérience dans le poker en jouant sous les projecteurs. Vous avez participé à l’émission Hustler Casino Live, où vous avez eu des mains très divertissantes. Et maintenant, ici, bien sûr, vous avez des caméras partout autour de vous. La lumière des projecteurs ne vous atteint-elle jamais ? Êtes-vous nerveux ou appréciez-vous la pression ?
M.C : Je n’aime pas être fier de mon poker. J’essaie d’apprendre un peu pour que ça ne me dérange pas trop. Mais si je fais quelque chose de vraiment stupide, c’est pas grave et il faut s’y attendre. C’est très bien.
J.S : Le poker est un jeu d’informations incomplètes. Appréciez-vous l’incertitude qui y règne ?
M.C : Oui, je pense que les similitudes entre le poker et les échecs sont plus nombreuses qu’on ne le pense. Bien sûr, il y en a. Aux échecs, l’information est parfaite, mais on prend quand même beaucoup de décisions basées sur des calculs imparfaits. En ce sens, c’est un peu la même chose.
J.S : Est-ce que vous aimez apprendre et étudier le poker pour comprendre la stratégie et en quoi cela diffère-t-il de la préparation aux échecs ?
M.C : Eh bien, je n’étudie pas vraiment. Je devrais probablement le faire. Je me contente d’apprendre en parlant avec les gens des mains que je joue.
C.R : J’aimerais revenir un peu sur votre apparition au Hustler Casino Live. L’une des mains les plus cool que vous ayez jouées est celle où vous avez fait un hero call vraiment épique contre Nick Austin. Votre paire inférieure, votre main était 4-3. Vous aviez donc une paire de quatre sur un tableau 84K-9-10. Vous avez expliqué votre processus de réflexion pendant la main. Vous avez dit que vous ne pensiez pas qu’il avait beaucoup de mains avec lesquelles il pouvait triple barrel. Pouvez-vous nous en dire un peu plus sur votre processus de réflexion lors de cette main ?
M.C : Oui, c’est à peu près ça. C’est à peu près ce que je pensais. Évidemment, il n’y avait pas beaucoup de bluffs évidents non plus, mais je pensais qu’il était le genre de joueur qui montrerait probablement beaucoup de mains plus faibles que la mienne. J’ai donc pensé qu’il y avait une chance raisonnable qu’il bluffe. Et, vous savez, parfois, en tant que joueur inexpérimenté, vous avez un feeling. Et puis parfois, vous avez raison.
C.R : Très bon call.
J.S : Vous jouez beaucoup au poker. Avez-vous déjà joué avec la shot-clock ? Vous pensez qu’il faut normalement combien de temps pour prendre vos décisions au poker ? Et pensez-vous que votre expérience aux échecs, comme le fait de jouer en blitz et de jouer rapidement, vous aide ?
M.C : Eh bien, j’ai joué un peu avec mes amis et sur quelques applications pendant la pandémie. Et là, il y avait toujours une sorte de shot clock de 20 secondes. Et j’ai trouvé ça vraiment stressant, vraiment intense. D’habitude, je sais plus ou moins ce que je fais et puis oui.
J.S : Et puis au poker live, évidemment, contrairement aux échecs, vous avez un temps d’arrêt entre les mains où vous pouvez juste regarder l’action si vous voulez, ou vous pouvez juste vous détendre. Comment aimez-vous passer ce temps lorsque vous n’êtes pas impliqué dans une main ?
M.C : C’est une question très difficile. En général, quand je joue, j’aime écouter de la musique, quand je joue en blitz. C’est comme ça que je me calme et que j’utilise mon instinct. Mais ici, je n’en suis pas sûr. J’ai l’impression que je dois réfléchir davantage parce que j’ai moins de connaissances. J’ai l’impression que le bruit peut me distraire. J’essaie donc de rester calme, de suivre ce qui se passe et de tirer le maximum d’informations.
C.R : Il y a quelques autres joueurs d’échecs bien connus qui ont également pris goût au poker. Alexandra Botez est ici. Nimmo est un autre streamer d’échecs qui joue beaucoup au poker. Y a-t-il d’autres joueurs d’échecs qui, selon vous, excelleraient dans ce jeu ou que vous aimeriez voir aux tables de poker ?
M.C : En fait, je suis venu ici à cet endroit précis à Monaco en 2007 parce que je jouais un tournoi d’échecs ici et je suis venu regarder l’European Poker Tour, parce qu’Alexander Grischuk, qui était à l’époque un joueur du top 10 et qui est toujours très fort, jouait ici le Main Event. Je suis donc allé le voir jouer. Je pense qu’il y a beaucoup de joueurs d’échecs qui ont été attirés par le poker, pas seulement pour le plaisir, mais aussi pour faire carrière. Mais je n’ai pas l’intention de faire ça. Je pense que le champion du monde actuel (Ding Liren) devrait être très fort. Je sais, pour lui avoir parlé, qu’il calcule très vite aux échecs et qu’il est très bon en maths. Donc je suis sûr qu’il pourrait bien se débrouiller.
J.S : Très bien. Merci beaucoup.
Toujours en piste sur le Main Event à 185 joueurs left, en bonne position pour rentrer dans les places payées, Magnus Carlsen pourrait obtenir sa deuxième ligne Hendon Mob, après avoir terminé 25ème du Norwegian Championship à Dublin en 2022. On a clairement hâte de le retrouver en table télévisée sur la suite du tournoi.
