L’Attachement aux Gros Pots
Il ne suffit pas d’étudier l’aspect technique du poker pour espérer gagner facilement. La partie mentale du poker est au moins aussi importante et elle mérite d’être travaillée. Aujourd’hui, nous allons parler de l’attachement aux gros pots et du tilt que cela peut induire.
Cas d’Etude
Prenons un exemple bien précis d’une main jouée par un des élèves de l’auteur de l’article.
Le joueur dispute une partie de cash game en 6-Max et 3-bet avec A♥ K♣ depuis la petite blind. Le relanceur initial paye depuis le cut-off. Le flop vient K♦ 10♥ 5♥ et notre héro mise la moitié du pot. Son adversaire paye en position et la turn est le J♣ . Le 3-betteur mise de nouveau, c’est encore payé. La river est le 7♠ et le pot est maintenant très gros. A vrai dire, le tapis effectif restant représente seulement 75 % du pot.

Regardons cette main de manière objective et avec un point de vue détachée avant de nous mettre à la place de l’élève qui joue à chaud. Il y a 3 options à prendre en compte dans ce spot avant de prendre une décision. L’EV de chacune d’elles doit être mesurée et comparée. Les 3 options sont : faire tapis, check/call ou check/fold. Commençons par la première.
Avant de décider de miser, nous devons être sûr de la raison de cette mise. Une bonne mise doit inclure une dose de value (pour se faire payer par de moins bonnes mains), de bluff (pour avoir de la fold equity contre un nombre suffisamment de mains) et de protection (face à des mains qui ont des outs, voire beaucoup d’outs).
De toute évidence, une mise à la river ne peut pas être pour protection étant donné qu’il n’y a plus de cartes à venir. Bluffer avec cette main est par ailleurs une aberration, car nous ne pouvons pas nous attendre à faire coucher deux paires ou mieux à notre adversaire alors qu’il reste moins d’un Pot Size Bet. Ce serait alors en value ? On dirait que non. Pour être payé par une moins bonne main, l’adversaire devrait le faire avec KQ, mais aussi des mains plus faibles, comme deuxième paire. Sans un read comme quoi il est très tenace, c’est très optimiste.
Miser n’est pas une option – il n’y a tout simplement aucune raison de le faire !
Check/call est peut-être encore pire contre un joueur typique de micro limites. Check/call est une option qui cherche à gagner de l’argent face à des bluffs étant donné qu’aucune main moins bonne ne va raisonnablement miser cette river en value. Quels bluffs sont possibles ici ? Et bien, comme nous avons le A♥ , cela réduit considérablement le nombre de tirages couleur que peut avoir notre adversaire, comme A♥ 4♥ ou autres combinaisons. Pour bluffer sur un board qui touche la range des deux joueurs, l’adversaire va devoir se montrer créatif pour tourner en bluff des mains comme T9, QT ou QJ. Même si c’est ce qu’il faudrait faire en théorie étant donné le peu de show-down value de ces mains, la plupart des joueurs de NL25 ne bluffent pas comme ça. Check/call est donc le moyen parfait d’achever notre tapis.
Et voilà, il ne reste plus qu’une option. Le joueur doit check/fold cette river. Cela ne veut pas dire qu’il va toujours perdre le pot car la river sera souvent checkée par les deux joueurs et notre roi sera souvent bon pour battre une paire inférieure qui n’aurait de toutes façons pas payé un shove. Si l’adversaire mise, sa range est composée de très peu de bluffs, car il ne va pas utiliser suffisamment de mains pour bluffer. Au final, l’élève a fait tapis et son opposant a payé dans la seconde avec K♠ J♠ .

Qu’est-ce qui s’est passé ?
Le processus de réflexion de l’élève en question est le suivant :
« Je ne vais jamais coucher cette river et je pense que c’est mieux de miser que de check/call« .
Pourquoi cette répulsion à l’idée d’abandonner ce pot ? Parce qu’il était gros et représentait un investissement significatif pour cet élève, en temps et en énergie émotionnelle. Son subconscient était tellement conditionné à ne pas abandonner autant de ressources investies que la simple idée de check/fold ne lui est pas passée par la tête une seule seconde.
Cela vient de notre histoire et à quel point il peut être désastreux pour notre survie d’investir autant d’efforts, d’argent et de temps dans quelque chose pour finalement ne rien obtenir à la fin. Une espèce qui se voit éjectée d’une telle situation ne survivrait pas bien longtemps. Le vrai défi pour le joueur de poker est d’adapter son cerveau à ce nouvel environnement où il est vital pour notre survie d’abandonner des gros pots quand ils ne méritent pas un investissement supplémentaire.
La solution
Alors comment faire pour se mettre dans cet état d’esprit ? Nous le pratiquons déjà dans les situations où le tilt nous affecte. Il est important de se mettre dans le bon état d’esprit, non pas pour combattre une incompréhension consciente, mais une habitude de notre subconscient. La prochaine fois que vous êtes impliqué dans un gros pot et que vous pensez qu’il est mieux de vous coucher, essayez de voir ce sentiment compulsif comme quoi vous ne devez pas laisser partir ce pot comme ce que c’est, un besoin animal. Quand nous voyons les boutons bet et call comme une part irrationnelle de notre esprit qui ne comprend pas le poker, nous pouvons voir à quel point il serait idiot de cliquer sur l’un d’eux. Essayez de vous dire quelque chose de fort comme :
« Je vais suivre la logique, pas une pulsion »
Ou :
« Les envies n’ont aucune place à une table de poker. »
Ou même :
« Payer cette mise revient à m’abandonner à mes émotions. »
Avec le temps, le subconscient finira par apprendre que ces pots n’ont pas besoin de protection et il arrêtera alors de vous mettre la pression en permanence pour provoquer ces mauvais investissements.
Conclusion
Les gros pots ne sont pas faciles à appréhender. Notre niveau d’interférence émotionnelle est à son plus haut et avec du temps et du travail, nous pouvons contrôler cette pulsion qui cause toutes ces pertes supplémentaires. La prochaine fois que vous vous faites relancer à la river ou qu’une mauvaise carte pour votre main tombe et que votre adversaire mise gros, essayez de voir si votre processus de réflexion est clair et réfléchi ou bien si c’est juste une envie irrépressible de vous accrocher à vos précieuses ressources (les jetons).