Thursday, 28th March 2024 21:37
Home / Ca veut dire quoi avoir une « Poker Face » ?

« Poker face ». Voilà l’exemple typique de la langue du poker qui a fait son entrée dans le langage courant. Même ma grand-mère, qui n’a jamais entendu parlé de Texas Hold’Em, connait la signification d’une poker face. Elle sait que cela veut dire cacher ses émotions derrière un masque d’impassibilité.

Je me demande si l’expression en elle même ne cache pas quelque chose ?

patrik-antonius-poker-face.jpgPatrik Antonius ne montre ni force ni faiblesse. Rien, le néant.

Série très populaire auprès des jeunes adolescentes, la série Pretty Little Liars (« Les menteuses » en VF) basée sur le travail de la romancière Sara Shepard mettait en scène un groupe de jeunes filles naviguant en plein mystère suite à la disparition d’une des membres du groupe. Enquêtes, secrets et meurtres vont bientôt transformer leurs vies en lutte pour survivre. Deux spin-offs sont en production suite à cette série. Après Ravenswood, Pretty Little Liars: The Perfectionists arrive très vite sur vos écrans.

Rédactrice au Cosmopolitan, Emily Tannenbaum est très excitée par ce deuxième spin-off. Elle a beaucoup aimé l’ouverture du premier épisode qui a été dévoilée pour servir de bande-annonce. La scène introduit une nouvelle disparition mystérieuse…

… avec une musique de stature internationale, jouée au violoncelle. Tout le monde aura en effet reconnu le hit de Lady Gaga, « Poker Face ». « La chanson en elle-même est parfaite pour cette série qui nous parle de garder des secrets et qui parle de menteurs directement dans son titre », observe Tannenbaum. De quoi plonger dans l’ambiance instantanément.

Mais attendez une minute. Est-ce que posséder une « poker face » c’est être un menteur ? Ou bien cela veut-il dire qu’on cache quelque chose ? Que l’on protège un secret ?

Creusons un peu plus loin que la surface de ce grand mystère…

Vous voulez devenir un bon joueur ? Travaillez votre poker face

Dès 1875, dans son livre Round Games at Cards, l’auteur britannique Henry « Cavendish » Jones introduit différentes variantes du poker et présente les termes qui lui sont associés. Il donne aussi quelques conseils stratégiques et explique que « la possession d’une bonne poker face est un avantage ».

Cavendish précise sa pensée et dresse un constat simple : « Personne ne va trahir la valeur de sa main par des gestes non-maîtrisés, un changement de posture ou tout autre perturbation tout en prétendant être un bon joueur ». Vous voulez connaître le succès au poker ? Ne laissez pas votre visage donner une quelconque indication. Si vous n’y parvenez pas « un joueur expérimenté analysera vos expressions » pour estimer la valeur de votre main.

En clair, dès les débuts de l’ère des conseils stratégiques au poker il était évident que cacher le plus d’informations à ses adversaires avait un sens. Il y avait même une sorte de slogan pour décrire cette action… répétez et pratiquez votre poker face !

Loin des tables

Très vite, la notion de poker face est entrée dans le langage courant. L’expression est devenue une référence pour les regards vides, les expressions sans passion et les réponses de mort-vivant.

Grande joueuse de tennis dans années 20, elle était la Serena Williams (19 titres du Grand Chelem dont 8 à Wimbledon, ndlr) de l’époque, la joueuse Helen Wills jouait sans jamais perdre son calme avec un style sans émotion. En mode robot, elle semblait ignorer ses adversaires et même les spectateurs. Dans son match avant tout, elle a multiplié les victoires match après match, tournoi après tournoi.

Le journaliste sportif Grantland Rice adorait donner des surnoms aux athlètes, il avait rebaptisé Wills en « Little Miss Poker Face ». Le sobriquet est resté dans l’histoire de la petite balle jaune.

Dans sa pièce de théâtre de 1933, Days Without End, l’auteur Eugene O’Neill donne lui des indications pour la direction des acteurs. Il assigne ainsi un rôle très précis à un des personnages. Ce dernier doit posséder « l’expression affable et vide, la poker face de l’homme d’affaire américain qui vous accueille ». Une description parfaite du business, un monde compétitif où l’information vaut souvent de l’argent.

En 1943, le romancier Graham Greene a lui écrit une chronique sur l’ouvrage de Hesketh Pearson, une biographie de Sir Arthur Conan Doyle. Greene a intitulé son livre sur l’histoire du papa de Sherlock Holmes « The Poker-Face » et il salue vivement le travail de l’écrivain, une enquête digne du plus grand détective qui lui a permis de dresser un portrait vivant de Conan Doyle, « au-delà de cette poker-face ».

Maria Konnikova réalise aussi le même genre de déductions dans son livre à propos des histoires de Sherlock Holmes et de son auteur. Elle nous entraîne dans un monde fait de mystère pour expliquer la logique de la pensée réflexive… une lecture géniale pour les passionnés de poker même si ce livre n’est pas proprement sur le poker (Mastermind: How to Think Like Sherlock Holmes par Maria Konnikova)

[LISEZ l’intervention de Konnikova sur le poker à Davos : « Les vérités de Maria: Konnikova au Forum Economique Mondial ».]

Dans sa chronique, Greene décrit ce qu’est une « poker face » avec une grande poésie.

« Vous avez vu cette tête des centaines de fois de l’autre côté du comptoir des bars — la mèche de cheveux qui traîne négligemment sur un sourcil blanc, une moustache fournie avec des pointes, un regard ferme et pétillant, l’homme qui provoque la convivialité chez les clients sait exactement quand il faut cesser d’amuser la galerie. Il porte un complet noir (la veste à 4 boutons) et des chaussures cirées. Est-ce que Sherlock Holmes aurait pu deviner quelque chose de cette apparence magnifique, l’essentielle vérité des choses ? » raconte Greene.

Jouez à cache-cache

Nous pourrions aborder et lister de nombreux exemples de poker face célèbres dans le monde politique, le sport, les affaires et tout un tas d’autres domaines. Vous avez saisi l’idée, posséder une « poker face » cela veut dire être illisible. Il y a peut-être « une vérité bizarre » cachée derrière cette « apparence ouverte »… mais c’est difficile à déterminer ! Seuls les gens les plus attentifs, peut-être quelqu’un avec des qualités d’observation équivalentes à celles de Holmes, auront la possibilité de discerner le vrai du faux et ce qui est caché derrière le masque de la poker face.

En 1981, le photographe renommé Ulvis Alberts a publié un recueil de photos titré Poker Face. En 2006 il a intitulé son ouvrage Poker Face 2 et c’est tout sauf un hasard. Le titre était un moyen de piquer la curiosité des lecteurs et des les inciter à découvrir les secrets des modèles.

L’anthropologue David Hayano a lui aussi choisi un titre équivalent (« Poker Face ») en 1982 lorsqu’il a étudié la population des joueurs de poker de Californie. Un choix qui indiquait qu’Hayano trouvait intéressant d’enquêter sur les expressions faciales à priori indéchiffrables des gamblers assis dans les salles californiennes. Il y a voir et regarder.

Aaron Brown a lui publié The Poker Face of Wall Street en 2007, un ouvrage où il décrit les affinités entre l’univers des jeux de cartes et la finance moderne. Il montre les parallèles entre les deux stratégies employées dans deux mondes à priori très éloignés. Le titre remplit aussi une autre mission, il sous-entend que le livre va permettre de plonger dans le monde secret de la plus grande place boursière du monde.

Le maître Patrick Antonius

Dan Harrington et Bill Robertie se sont longuement arrêtés sur un très bon exemple dans leur ouvrage commun publié en 2008 : le volume 2 de Harrington on Cash Games. Au détour d’une discussion sur les tells et des conseils visant à limiter ceux que l’on donne à ses adversaires, le duo dresse un portrait flatteur de Patrik Antonius. Les auteurs recommandent d’imiter Patrik Antonius, et surtout son approche de la poker face.

« Antonius a un moyen simple pour se défendre contre la lecture des tells », explique les auteurs. « Après chaque mise importante, il reste bien assis, évite les cartes communes et regarde silencieusement un point fixe dans l’espace ».

Sa poker face « donne l’impression d’une transe catatonique », juge le duo. C’est après l’action de son adversaire qu’Antonius « rentre de nouveau dans son corps et rejoint le monde des vivants ».

pa-2.jpgMais… une seconde… vous étiez si sérieux il y a quelques instants !

Conclusion

Quand j’entends l’expression « poker face », l’image qui me vient directement est celle d’un pro stoïque à l’expression complètement neutre. Un homme qui ne communique rien. Le genre de truc que Mike McDermott essaye de faire dans le film Les Joueurs (Rounders) quand Johnny Chan lui demande s’il avait les papiers en règles… et Mike lui répond « Je suis désolé John, je ne me souviens plus ».

Au final, je n’associe pas forcément la poker face au mensonge et l’avis de la rédactrice du Cosmo est intéressante car elle montre que les non-connaisseurs du monde du poker peuvent avoir cette sensation. Si c’est le cas, cela traduit aussi le fait que l’opinion « mainstream » pense que le jeu implique forcément le mensonge.

Et quand j’y repense, je crois que Mike McDermott mentait à Chan. Je suppose que c’est ce que Lady Gaga nous explique aussi quand elle se vante d’être indéchiffrable. « Je fais une promesse, j’ai promis ça », chante-t-elle dans poker face, un moyen de confesser qu’elle obscurcit la vérité avec des jolis mensonges.

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